La controverse internationale autour de contraceptifs d’une valeur de près de 10 millions de dollars américains, initialement destinés à l’Afrique mais entreposés depuis des mois dans un entrepôt en Belgique à la suite d’un récent revirement dans la politique de développement des États-Unis, est perçue comme une victoire pour le peuple de Dieu en Afrique, selon des responsables de deux forums catholiques du continent.
Dans des entretiens accordés à ACI Afrique, la Directrice des campagnes de CitizenGo et son homologue à la tête du Kenya Christian Professionals Forum (KCPF) se sont exprimés sur l’incinération prévue d’une grande variété de contraceptifs dans les installations de la société logistique Kuehne + Nagel, dans la ville de Geel, province d’Anvers, en Belgique.
« Nous devons garder les yeux ouverts ; ces contraceptifs ne doivent jamais poser le pied en Afrique », a déclaré Ann Kioko de CitizenGo à propos de ce vaste lot comprenant 26 millions de préservatifs, des millions de pilules contraceptives orales, des centaines de milliers d’implants contraceptifs, près de deux millions de doses de contraceptifs injectables, et 50 000 flacons de médicaments de prévention du VIH, tous évalués à 9,7 millions de dollars, dont la plupart sont valables jusqu’en 2031.
Dans l’interview du 24 juillet, Mme Kioko a confié avoir été « très choquée d’apprendre qu’un tel volume de contraceptifs était prévu pour le Sud global », avant d’ajouter : « Je peux imaginer ce que 9,7 millions de dollars pourraient faire pour le développement s’ils étaient redirigés. »
La controverse internationale
Selon Reuters, le gouvernement américain dirigé par le président Donald Trump a refusé les offres d’organisations de planification familiale et des Nations Unies « pour acheter ou expédier ces fournitures vers des pays pauvres. » Cela fait suite à la décision du président Trump, lors de son entrée en fonction le 20 janvier, de suspendre le financement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).
Dans un rapport du 23 juillet, Reuters indique, citant plusieurs sources, que les États-Unis sont prêts à dépenser 160 000 dollars pour détruire les contraceptifs dans une installation française spécialisée dans le traitement des déchets médicaux.
Deux projets de loi déposés par des parlementaires américains pour empêcher la destruction de ce stock massif « risquent de ne pas être adoptés à temps pour stopper l’incinération », rapporte Reuters, citant des groupes humanitaires.
De même, les discussions entre les autorités belges et américaines — les premières explorant « toutes les options possibles pour empêcher la destruction, y compris un transfert temporaire » — n’ont pas abouti. Le ministère belge des Affaires étrangères aurait déclaré : « Malgré ces efforts, et dans le plein respect de nos partenaires, aucune alternative viable n’a pu être trouvée. »
« La Belgique continue de chercher activement des solutions pour éviter cette issue regrettable », ajoute le ministère belge des Affaires étrangères, soulignant que « la santé sexuelle et reproductive ne doit pas être soumise à des contraintes idéologiques. »
D’autres options, comme la proposition de MSI Reproductive Choices de prendre en charge le reconditionnement des contraceptifs sans les marques de l’USAID, ou encore la volonté du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) de racheter les produits, ont été rejetées par l’administration Trump, qui, selon Reuters, « agit conformément à la politique de Mexico », une directive anti-avortement que Trump a rétablie en janvier.
Selon cette directive, le gouvernement américain ne doit pas collaborer avec des entités qui facilitent l’accès à l’avortement via des financements ou des fournitures.
Introduite pour la première fois en 1984 par le président Ronald Reagan et systématiquement rétablie par les administrations républicaines, la Politique de Mexico interdit tout financement fédéral américain aux ONG étrangères qui promeuvent ou pratiquent l’avortement. Les critiques estiment que cette politique limite l’accès des femmes vulnérables aux services de santé reproductive, tandis que ses défenseurs y voient une mesure de protection de la vie.
L’incinération, une victoire pour l’Afrique
Dans son entretien du 24 juillet avec ACI Afrique, la Directrice des campagnes de CitizenGo, basée au Kenya, s’est réjouie : « Je suis très heureuse que la Politique de Mexico signée par le président Trump soit en vigueur et que les contraceptifs soient incinérés. »
« Je félicite le gouvernement américain pour avoir tenu parole, et il est temps que des avorteurs comme Marie Stopes International soient également privés de financement », a déclaré Mme Kioko, faisant référence à « l’entité la plus spécialisée au Kenya en matière de santé sexuelle et reproductive (SSR) et de planification familiale (PF) », affiliée à MSI Reproductive Choices depuis 1985.
Selon elle, « les nations africaines et autres pays en développement devraient rejeter toute tentative de reconditionner les contraceptifs et dénoncer publiquement MSI et le FNUAP. »
La militante catholique kenyane a estimé que bien que des organisations comme MSI et le FNUAP promeuvent « la contraception comme une bonne chose, il est clair que tous les contraceptifs sont des abortifs utilisés dans le cadre d’une politique de contrôle des naissances. »
« Les contraceptifs ne sont même pas gratuits ; c’est un commerce lucratif dans l’industrie de l’avortement », a-t-elle déclaré à ACI Afrique, avant de préciser : « On vous donne des contraceptifs, vous avez des rapports sexuels irresponsables, vous tombez enceinte, et ils vous proposent un avortement. »
Elle a ajouté que les contraceptifs « ont des effets très négatifs, notamment la fragilité osseuse et la stérilité, ce qui fait partie de leur agenda. L’Église catholique encourage la chasteté et promeut également la planification familiale naturelle pour les couples mariés, avec chaque acte conjugal ouvert à la vie. »
La responsable de CitizenGo a vivement mis en garde les jeunes Africains contre « la mentalité contraceptive », qui selon elle, « enseigne aux jeunes qu’ils peuvent profiter des actes conjugaux ‘sans conséquences’, alors que tout cela est une illusion, car ces contraceptifs échouent et ne protègent pas contre les IST et les MST. »
« Nous devons rejeter l’industrie de l’avortement et son programme de contrôle des populations », a-t-elle martelé.
L’incinération, « un acte politique, un impératif moral »
Dans un autre entretien accordé à ACI Afrique, Maître Charles Kanjama, président du Kenya Christian Professionals Forum (KCPF), a estimé que l’incinération des contraceptifs financés par les États-Unis est conforme aux principes pro-vie énoncés dans l’encyclique Evangelium Vitae de Jean-Paul II, publiée en mars 1995.
« C’est à la fois une déclaration politique et un impératif moral », a déclaré M. Kanjama à propos de la destruction des contraceptifs, ajoutant : « L’objectif n’est pas le gaspillage, mais d’éviter davantage de mal. L’avortement et les contraceptifs abortifs causent du tort, et c’est cela qu’il faut arrêter. »
À l’instar de Mme Kioko, M. Kanjama a salué la position ferme du président Trump contre les contraceptifs et l’avortement : « Nous soutenons la réinstauration de la Politique de Mexico par le gouvernement américain. »
« C’est une politique qui garantit que le gouvernement américain ne fait pas pression pour imposer l’avortement à d’autres pays », a-t-il affirmé, ajoutant : « Certains contraceptifs sont abortifs ; ils provoquent l’avortement après la conception, dans la première ou la deuxième semaine. Les mesures prises pour retirer ou détruire ces produits sont donc soutenues par nous, car nous croyons en la sainteté de la vie, de la conception à la mort naturelle. »
Les contraceptifs d’une valeur de près de 9,7 millions de dollars en question, dont l’expiration est prévue entre 2027 et 2031, seraient incinérés en France à un coût supérieur à 160 000 dollars. Selon les médias, les agences américaines ont décliné les offres des Nations Unies et des ONG internationales pour redistribuer les stocks vers les pays en développement.
Alors que certains critiquent la politique restrictive du président Trump sur les contraceptifs et l’avortement, la qualifiant d’idéologique et de gaspillage, l’avocat kényan fait partie de ceux qui la soutiennent.
« Il ne s’agit pas seulement de politique. Il s’agit aussi de morale, d’éviter de faire du mal aux autres », a-t-il affirmé à ACI Afrique le 25 juillet, en ajoutant : « La morale et la politique sont liées. La politique influence la culture, et la culture influence notre manière de considérer la vie. C’est pourquoi la Politique de Mexico est nécessaire. »
Le président du KCPF, qui est membre du Forum africain des professionnels chrétiens (ACPF), a rejeté l’idée que la valeur de la vie humaine dépende de la géographie ou du statut économique.
« La Politique de Mexico ne fait pas de distinction entre nations riches et pauvres », a-t-il dit. Pour lui, « la vie a de la valeur, que l’on soit dans le premier, le deuxième ou le tiers monde. La vie est la vie, que l’on soit à Washington ou à Wajir (ville du nord-est du Kenya, marquée par la pauvreté). »
M. Kanjama a dénoncé le ciblage des nations africaines par des programmes étrangers favorisant l’avortement sous couvert d’aide ou de développement.
« Des idéologies étrangères nous sont imposées, notamment par les pays occidentaux », a-t-il déploré, ajoutant à propos de la position restrictive de Trump : « Si l’Occident commence à revoir son approche, nous nous en félicitons. »
Il a dénoncé l’arrivée d’aides internationales assorties de conditions idéologiques, notamment sur l’avortement, l’éducation sexuelle ou les droits LGBTQ+, qu’il juge contraires aux valeurs traditionnelles.
« Nous accueillons l’aide sincère, mais cette aide ne doit pas être accompagnée d’idéologies étrangères contraires à nos valeurs morales et familiales », a-t-il dit.
Pour cet avocat catholique, cette controverse est une occasion pour l’Afrique de repenser sa dépendance à l’aide étrangère et d’imaginer une voie d’autonomie.
« En tant que professionnels chrétiens, nous pensons que ce dont l’Afrique a le plus besoin, c’est d’un commerce équitable », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Parfois, l’aide masque des pratiques commerciales injustes. L’Afrique a suffisamment de ressources pour se développer si les barrières tarifaires et non tarifaires sont levées. »
Selon lui, la solution durable au sous-développement passe par la justice économique, la responsabilité, et des solutions locales en accord avec les valeurs africaines.
« Le développement ne se fait pas en un jour, et les populations vulnérables existeront toujours, mais cela ne signifie pas que nous devons accepter une aide qui compromet notre dignité. Nous devons promouvoir l’autonomie et enseigner à notre peuple les compétences nécessaires pour subvenir à ses besoins », a dit M. Kanjama.
Ce membre d’Opus Dei a insisté sur le rôle de l’Église catholique pour offrir des alternatives éthiques aux programmes de santé basés sur la contraception, et a exhorté des institutions telles que Caritas, l’Académie pontificale pour la vie et les conférences épiscopales africaines à investir dans des programmes de santé respectueux de la vie.
« C’est le moment pour l’Église de montrer la voie, d’investir dans les soins maternels, la planification familiale naturelle, et une médecine éthique qui protège à la fois le corps et l’âme », a-t-il dit.
S’appuyant sur la doctrine sociale de l’Église, il a cité l’exemple de sainte Teresa de Calcutta : « Même dans la pauvreté, les pauvres peuvent aider d’autres pauvres. Et comme Mère Teresa nous l’a appris, la charité commence là où l’on se trouve, que ce soit dans les bidonvilles de Calcutta ou les villages d’Afrique. »
Pour M. Kanjama, « la charité est un besoin universel. Mais on ne peut pas commencer par attendre une aide extérieure. Il faut d’abord aider son prochain chez soi, et accueillir ensuite l’aide étrangère non conditionnée. »
Alors que les médias mettent l’accent sur le coût économique de la destruction des contraceptifs, M. Kanjama rappelle que les décisions morales ne doivent pas être réduites à une logique d’efficacité.
« Il ne suffit pas de se demander ce qui est rentable. Il faut se demander ce qui est juste. Et lorsqu’il s’agit de la vie humaine, surtout à son stade le plus vulnérable, il n’y a pas de place pour les compromis », a-t-il conclu.
Selon lui, le débat sur la destruction des contraceptifs n’est qu’une bataille dans un combat plus large. Il y voit une occasion pour l’Afrique de s’élever spirituellement, économiquement et moralement.
« Que les Africains prennent en main leur propre système de santé », a-t-il affirmé, avant de conclure : « Là où le peuple de Dieu en Afrique est dans le besoin, il peut toujours demander une aide qui ne soit pas chargée d’idéologies étrangères. »
« La sainteté de la vie n’est pas négociable, et ce n’est pas une question propre au tiers monde », a-t-il insisté.
Charles Muchiri a contribué à la rédaction de ce reportage.