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« Ignorer la souffrance, c’est ignorer la paix » : un évêque camerounais sur la violence post-électorale

Mgr Emmanuel Abbo, de la diocèse catholique de Ngaoundéré au Cameroun, a appelé les Camerounais à dépasser les solutions superficielles face aux tensions post-électorales, avertissant que la paix ne peut être atteinte sans prendre en compte la douleur et l’injustice ressenties par de nombreux citoyens.

S’exprimant lors d’une réunion convoquée par le gouverneur de la région de l’Adamaoua, Mgr Abbo a mis en garde contre la manipulation et l’incitation qui exploitent souvent la souffrance collective, aggravant les divisions et alimentant la violence.

« Ignorer la douleur et la souffrance dans le cœur des gens, c’est ignorer la paix », a déclaré l’évêque camerounais le jeudi 23 octobre.

La rencontre, organisée par le gouverneur, visait à préserver la paix après des violences signalées dans plusieurs villes du pays suite au scrutin présidentiel du 12 octobre.

Dans la capitale économique Douala, des manifestants en colère ont accusé les autorités de fraude électorale. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent des protestataires affirmant que les résultats ont été truqués pour favoriser le président Paul Biya.

Des manifestations ont également eu lieu à Dschang, Maroua, Garoua et Ngaoundéré, où des citoyens ont revendiqué la victoire du candidat de l’opposition, Issa Tchiroma Bakary.

S’adressant aux journalistes le 23 octobre, Mgr Abbo a partagé son expérience personnelle : « Chaque jour, je reçois au moins 10 à 20 personnes dans mon bureau. En les écoutant, on sent que le climat actuel est un débordement de douleur, une souffrance profonde dans le cœur des gens. »

Il a dénoncé la manipulation des sentiments publics par certains acteurs politiques et sociaux, rappelant que ces tactiques exploitent des blessures anciennes.

« Ces manipulations ont trouvé un terrain fertile dans une souffrance déjà existante, enracinée et désormais débordante. C’est pourquoi nous devons aller au-delà du moment présent et travailler à des solutions qui s’attaquent à la racine du problème. Et cette racine, je crois, c’est l’injustice », a-t-il souligné.

« Si nous voulons éradiquer le discours haineux et violent que nous entendons, il faut combattre l’injustice qui l’alimente », a ajouté Mgr Abbo.

L’évêque a également évoqué la campagne visant à promouvoir la paix et la non-violence en attendant la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel, prévue le lundi 27 octobre.

« La sensibilisation que nous allons mener dans nos familles, nos lieux de travail et nos communautés sera-t-elle suffisante pour sauvegarder la paix dans notre région ? », s’est-il interrogé.

« Je peux me tromper, mais je crois que les racines de nos préoccupations sont plus profondes. Les solutions que nous proposons aujourd’hui sont temporaires. À moyen et long terme, il faudra engager une nouvelle lutte pour préserver cette paix », a-t-il ajouté.

Lors du scrutin du 12 octobre, le président Paul Biya, deuxième chef d’État africain le plus ancien après Teodoro Obiang de Guinée équatoriale, a sollicité un huitième mandat. Président depuis 1982 dans ce pays où le mandat présidentiel dure sept ans, le Camerounais de 92 ans est le doyen des chefs d’État dans le monde.

Les amendements constitutionnels de 2008, promus par le parti au pouvoir, le RDPC, ont aboli la limite de deux mandats, permettant son « mandat extraordinairement long ».

Après l’élection, le candidat de l’opposition Tchiroma s’est déclaré vainqueur, mais sa proclamation a été immédiatement rejetée par le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, la qualifiant d’illégale et « préoccupante ».

Le RDPC au pouvoir a également dénoncé cette déclaration comme une « farce grotesque », affirmant que seul le Conseil constitutionnel est habilité à annoncer officiellement le vainqueur.

ACI Afrique