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Nostra Aetate@60 : au Nigeria, des chefs religieux plaident pour des ponts interreligieux

Alors que l’Église catholique commémore les 60 ans de la promulgation de Nostra Aetate, la Déclaration du Concile Vatican II sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes (octobre 1965), des leaders religieux au Nigeria appellent à une évaluation des avancées et des lacunes dans le processus de rapprochement entre personnes de confessions différentes.

Lors d’un événement organisé par le Département de la Mission et du Dialogue du Secrétariat catholique du Nigeria (CSN), les responsables religieux ont souligné l’importance de bâtir une société fondée sur le respect mutuel et la coopération entre traditions religieuses.

Dans un entretien accordé à ACI Afrique en marge de la rencontre du jeudi 5 juin, le directeur national de la Mission et du Dialogue du CSN – siège administratif de la Conférence des évêques catholiques du Nigeria (CBCN) – a affirmé que cet anniversaire n’est pas seulement symbolique, mais un moment de réflexion et de renouveau dans l’engagement au dialogue.

« C’est un grand jour. Il ne s’agit pas seulement de célébrer un document de 1965, mais de s’interroger sur notre parcours et sur ce que nous pouvons encore faire pour bâtir des ponts entre personnes de confessions différentes au Nigeria », a déclaré l’abbé Lawrence Emehel.

Il a insisté sur le fait que le dialogue interreligieux doit dépasser les rencontres de haut niveau et les sommets théologiques.

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« Le dialogue n’est pas réservé aux évêques, aux cardinaux ou aux sultans. Il doit avoir lieu entre les gens ordinaires – ceux qui partagent les mêmes marchés, les mêmes défis comme l’insécurité, le manque de soins de santé et le chômage. C’est là que le véritable impact se fait sentir », a-t-il dit.

Pour encourager cette approche qu’il qualifie de « dialogue de vie », l’abbé Emehel a indiqué que le CSN travaille en partenariat avec la Fondation Ufuk Dialogue et le Conseil interreligieux du Nigeria (NIREC).

Selon lui, ces plateformes réunissent chrétiens, musulmans et, de plus en plus, adeptes des religions traditionnelles africaines (ATR), dans des efforts communs pour faire face aux problèmes de société.

« Il n’existe aucune religion à laquelle la pauvreté ou la maladie accorde un traitement de faveur. Ce qui compte, c’est notre capacité à nous unir pour résoudre les problèmes qui touchent tout le monde, peu importe la foi », a-t-il ajouté.

Il a reconnu l’intérêt croissant pour les ATR, notamment parmi les jeunes Nigérians, et a appelé l’Église à repenser ses approches pastorales.

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« Soyons honnêtes. Les jeunes retournent dans les sanctuaires traditionnels parce qu’ils cherchent une identité et du pouvoir dans une société où le succès dépend souvent de l’influence. C’est un signal d’alarme pour nous. Où avons-nous échoué ? Et que pouvons-nous faire de mieux ? », a-t-il questionné.

Il a également noté que, malgré l’absence de structure formelle dans les communautés ATR, il reste possible de dialoguer.

« Tous ceux qui pratiquent l’ATR ne sont pas impliqués dans des rituels ou des activités criminelles. Certains ont des valeurs profondes, et il faut les inclure dans nos discussions sur la construction nationale », a-t-il affirmé.

Le département Mission et Dialogue du CSN a mis en place des programmes pour les femmes et les jeunes issus de milieux religieux variés.

Parmi ces initiatives figure une collaboration entre l’Organisation des femmes catholiques (CWO) et la Fédération des associations de femmes musulmanes du Nigeria (FOMWAN), ainsi que des forums de jeunes chrétiens et musulmans qui étudient ensemble le document Une Parole Commune, rédigé par des intellectuels musulmans pour promouvoir la compréhension mutuelle entre chrétiens et musulmans.

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Bien que la transformation soit lente, l’abbé Emehel insiste sur le fait que le dialogue est indispensable.

« Même après une guerre, on finit toujours par revenir à la table du dialogue. Alors pourquoi ne pas dialoguer dès maintenant pour éviter la guerre ? Le dialogue n’est pas une baguette magique, mais il nous aide à gérer les tensions et à progresser vers la coexistence pacifique », a-t-il affirmé.

Dans un autre entretien accordé à ACI Afrique pendant l’événement du 5 juin, le directeur de la recherche et de la formation à l’Institut Da’wah du Nigeria, le Cheikh Nurudeen Lemu, a salué Nostra Aetate pour son approche respectueuse de l’islam.

« C’est l’un des rares documents issus d’un corps religieux majeur que les musulmans lisent et auxquels ils disent : “Nous sommes d’accord.” L’Église catholique a fait un pas audacieux en reconnaissant que Dieu valorise les bonnes personnes même hors de l’Église. Ce fut un vent de fraîcheur », a déclaré le Cheikh Lemu.

Le secrétaire général adjoint du Islamic Education Trust a souligné que toutes les religions comptent des individus aux positions exclusivistes.

« Certains pensent que Dieu leur appartient exclusivement, que le paradis leur est réservé et que les autres sont perdus. Mais c’est une vision étroite d’un Dieu infini. Nous projetons souvent nos préjugés sur Dieu, oubliant que sa miséricorde dépasse tout ce que nous pouvons comprendre », a-t-il dit.

Le Cheikh Lemu a proposé la rédaction d’un document similaire à Nostra Aetate au Nigeria – une déclaration publique affirmant les valeurs partagées entre les communautés religieuses du pays.

« Le Nigeria est le pays africain le plus diversifié religieusement. Nous avons besoin d’un document qui affirme notre humanité commune et rejette l’idée que seule une communauté détient la vérité », a-t-il déclaré.

Réfléchissant à la « peur irrationnelle » qui caractérise souvent les relations interreligieuses au Nigeria, il a mis en garde contre la mauvaise interprétation de certains conflits comme étant religieux.

« Nous avons l’islamophobie et la christianophobie. Beaucoup de conflits ne relèvent pas de la religion. Mais en les étiquetant ainsi, on apporte les mauvaises réponses. Le résultat : une souffrance qui perdure », a-t-il expliqué.

De son côté, le secrétaire exécutif du NIREC, l’abbé Cornelius Afebu Omonokhua, a reconnu les efforts de dialogue entre chrétiens et musulmans, tout en alertant sur l’influence négative des acteurs politiques.

« Nos dirigeants ont instrumentalisé la religion et l’ethnicité. Cela a alimenté l’insécurité. Malheureusement, ceux qui devraient apporter la solution — les forces de sécurité — font parfois partie du problème », a-t-il déclaré à ACI Afrique.

Il a évoqué l’infiltration d’éléments criminels dans l’armée, rendant difficile tout véritable dialogue avec les groupes violents.

« Comment dialoguer avec les bandits alors que ceux censés les combattre collaborent avec eux ? Le recrutement d’anciens insurgés soi-disant repentis dans l’armée n’a fait qu’aggraver le sabotage », a-t-il dit.

Il a salué le travail du NIREC depuis sa création en 1999, ajoutant : « Nous avons résolu de nombreux conflits grâce au dialogue. Mais nous ne pouvons pas aller dans la forêt affronter Boko Haram. »

« Ce que nous pouvons faire, c’est promouvoir le dialogue intra et interreligieux. Chaque communauté religieuse doit prendre ses responsabilités pour corriger ceux qui manipulent la religion », a-t-il affirmé.

Et de conclure : « La paix est possible, mais elle nécessite une volonté politique et un engagement religieux. »

Abah Anthony John