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« Une chaire divisée » : un évêque catholique critiqué pour ses commentaires sur la persécution des chrétiens au Nigeria

Le discours de Mgr Matthew Hassan Kukah lors du lancement récent du Rapport mondial 2025 sur la liberté religieuse dans le monde d’Aide à l’Église en Détresse (AED) a suscité de nombreuses critiques. Certains estiment que ce que l’Ordinaire local du diocèse catholique de Sokoto, au Nigeria, a déclaré à Rome au sujet de la persécution dans son pays ne répond pas à l’angoisse des chrétiens de la nation ouest-africaine.

Dans son discours du 21 octobre à l’Institut Pontifical Patristique Augustinien à Rome, Mgr Kukah a reconnu la détérioration de la sécurité au Nigeria, mais a ajouté que ce ne sont pas seulement les chrétiens qui sont persécutés à travers le pays.

Il a déclaré que les « flots de sang au Nigeria » aujourd’hui « n’ont aucune frontière », et a ajouté que des « groupes terroristes et meurtriers », qui ont commencé par cibler les structures ecclésiales, enlevant des prêtres, des religieux, des séminaristes et d’autres agents pastoraux, tout en « invoquant des mots tels qu’Allahu Akbar », tuent désormais aussi des musulmans qui ne croient pas à leur version de l’islam.

Mgr Kukah a insisté : « Nous ne sommes pas confrontés à des personnes qui se promènent brandissant des machettes et me recherchant pour me tuer parce que je suis chrétien. »

Il a également mis en garde contre la redésignation du Nigeria comme « pays particulièrement préoccupant » (CPC), soutenant qu’une telle mesure « nuirait aux initiatives que nous menons avec le gouvernement actuel pour résoudre collectivement les problèmes persistants… de la persécution des chrétiens ».

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L’évêque catholique a salué l’administration du président Bola Ahmed Tinubu pour les « mesures de renforcement de la confiance » qui, selon lui, montrent « un gouvernement prêt à écouter ».

Ses propos, cependant, n’ont pas été bien accueillis par certains responsables catholiques nigérians, qui estiment que, bien que l’évêque ait cherché « à équilibrer la vérité avec le dialogue », il est passé à côté « de la profonde angoisse des croyants vivant sous l’ombre de la violence et de la peur » au Nigeria.

« Essentiellement, Mgr Kukah… a reconnu la souffrance des chrétiens mais l’a replacée dans une tragédie nationale plus large affectant tous les Nigérians. Pourtant, ce faisant, il a manqué la profonde angoisse des croyants vivant sous l’ombre de la violence et de la peur », a déclaré l’abbé Stan Chu Ilo, Serviteur coordinateur du Réseau panafricain de théologie et de pastorale catholiques (PACTPAN) dans un rapport intitulé : « Les chrétiens nigérians sont-ils persécutés ? »

Dans ce qu’il a décrit comme « une chaire divisée dans une nation blessée », l’abbé Stan a mis en parallèle la perspective de Mgr Kukah et celle de Mgr Wilfred Chikpa Anagbe du diocèse catholique de Makurdi, qui s’est montré particulièrement véhément au sujet de ce qu’il qualifie de génocide visant les chrétiens au Nigeria.

Mgr Anagbe s’est longuement exprimé sur la persécution des chrétiens au Nigeria, alors que des paroisses catholiques ferment au sein de son diocèse et que de multiples déplacements sont causés par les activités accrues des éleveurs peuls islamistes.

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Mgr Anagbe a insisté pour que le Nigeria soit à nouveau désigné CPC, en raison de l’augmentation des attaques islamistes contre les chrétiens dans le pays d’Afrique de l’Ouest.

Dans son plaidoyer du 12 mars devant le sous-comité Afrique de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-Unis, Mgr Anagbe a soutenu que désigner le Nigeria comme CPC obligerait le gouvernement à rendre des comptes sur la situation des chrétiens.

Les propos de Mgr Kukah, qui selon l’abbé Stan se voulaient un appel pastoral au dialogue et à l’harmonie nationale, « ont plutôt exposé les fractures au sein de l’Église nigériane ».

Il a indiqué qu’il existe, d’un côté, « des pasteurs qui préfèrent la diplomatie avec les puissants » et, de l’autre, ceux qui parlent pour ceux qui « habitent les périphéries existentielles de la vie ».

L’abbé Stan a rappelé que, pour son témoignage, Mgr Anagbe a été harcelé et interrogé par des agents du gouvernement fédéral nigérian.

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« Sa défense passionnée de la souffrance de la communauté croyante contrastait fortement avec la manière dont Mgr Kukah transmettait ce même sentiment », a-t-il dit.

Selon lui, le témoignage de Mgr Anagbe est « prophétique et dénonciateur », tandis que celui de Mgr Kukah est « diplomatique et conciliant », et les deux « mettent à nu la tension douloureuse au sein de l’Église nigériane sur la manière de dire la vérité au pouvoir en temps de sang, d’anxiété nationale et de colère ».

Cependant, selon le responsable de PACTPAN, les deux perspectives révèlent une question plus profonde : comment les pasteurs doivent-ils s’exprimer « lorsque leur troupeau saigne » ?

Il a indiqué que, bien que Mgr Kukah soit un défenseur constant d’un engagement robuste de l’Église dans la politique nigériane, ses efforts n’ont pas eu beaucoup de résultats.

« Il est difficile de voir les fruits évangéliques d’un tel engagement pour la communauté chrétienne au Nigeria », a-t-il affirmé, ajoutant, en référence à l’évêque honoré par le président Bola Tinubu pour son 73ᵉ anniversaire : « La familiarité avec le pouvoir conduit souvent à des compromis susceptibles de soulager temporairement les dirigeants de l’Église, tout en faisant potentiellement un dommage permanent à la mission chrétienne, même lorsque telle n’est pas leur intention. »

« C’est pourquoi l’Église, dans sa sagesse, se montre prudente dans ses relations avec l’État, en particulier avec des dirigeants corrompus et prédateurs qui détruisent le bien commun », a-t-il déclaré.

L’abbé Stan a ajouté que, tandis que la persécution des chrétiens au Nigeria persiste, les responsables ecclésiaux du pays ne doivent donner en aucun cas l’impression, aux yeux des chrétiens nigérians, qu’ils cherchent à apaiser le gouvernement en place.

Il a noté que les priorités et les intérêts de l’État et des politiciens « changent comme la météo », tandis que la mission de l’Église obéit, au contraire, à « un rythme plus profond et durable ».

« Confondre ces ordres temporels ou aligner la mission éternelle de l’Église sur les ambitions transitoires du pouvoir politique par la complaisance ou une relation confortable avec la classe dirigeante corrompue du Nigeria, c’est trahir le cœur même de l’Évangile », a-t-il déclaré.

La critique des propos de Mgr Kukah par la Société Internationale pour les Libertés Civiles et l’État de droit (Intersociety) a été encore plus sévère, l’entité catholique de recherche au Nigeria qualifiant son discours à Rome de « déformation des faits ».

Dans un rapport révélant que 100 chrétiens ont été tués au Nigeria entre le 10 août et le 26 octobre, Intersociety s’est aussi prononcée sur les commentaires de Mgr Kukah concernant la persécution des chrétiens dans le pays.

Intersociety a critiqué l’évêque catholique et d’autres responsables nigérians que l’organisation considère comme « également victimes de persécution chrétienne » mais qui « ont choisi de lutter contre leur conscience en déformant les faits sur la liberté religieuse, la tolérance et la responsabilité ».

« La dernière fois que nous avons vérifié, Mgr Kukah était un évêque catholique très respecté et courageux au Nigeria et un défenseur des chrétiens persécutés depuis 2015 », a déclaré l’organisme, ajoutant : « Toutefois, le vénéré évêque du diocèse de Sokoto a été largement critiqué par ceux qui l’accusent d’incohérence, principalement en raison de sa proximité présumée avec le pouvoir politique central au Nigeria. »

Intersociety a reproché à l’évêque d’affirmer que le gouvernement dirigé par Tinubu avait mis en place des « mesures de renforcement de la confiance » pour dialoguer et endiguer l’insécurité.

Les chercheurs ont déclaré avoir mené des enquêtes révélant qu’au moins 22 000 chrétiens sans défense ont été tués depuis que le sénateur Ahmed Bola Tinubu est devenu président du Nigeria le 29 mai 2023.

Ils ont ajouté que, sous Tinubu, des églises « se comptant par centaines » ont été attaquées, fermées ou incendiées.

Pendant ce temps, l’abbé Stan a appelé les responsables religieux à continuer de dénoncer la persécution persistante au Nigeria.

Il a déclaré : « Lorsque les chrétiens réclament la liberté religieuse et la protection face au fondamentalisme islamique radical, le silence devient une complicité, une parole négligente peut enflammer une paix fragile, et la désunion peut prolonger notre longue nuit. »

Agnes Aineah