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Les mots ne peuvent pas exprimer la joie" : Le Père Opeka se souvient de sa rencontre avec le Pape François

P. Pedro Opeka ACI Afrique P. Pedro Opeka
ACI Afrique

Le pape François doit retourner à Rome mardi matin à l'issue de sa visite pastorale de six jours dans trois pays africains : Mozambique, Madagascar et Maurice. Pendant son séjour à Madagascar, il a rencontré un certain, P. Pedro Opeka, dont l'apostolat est au service des plus démunis de Madagascar. ACI Afrique s'est entretenue avec le P. Opeka, qui garde encore les souvenirs de sa rencontre avec le Pape François frais dans son esprit.

Le P. Opeka est un missionnaire qui appartient à la Congrégation des Lazariste, ancien élève du Pape François. Il est arrivé sur l'île il y a environ 50 ans. Depuis lors, il s'efforce d'améliorer la vie quotidienne des habitants qui vivent dans une décharge à ciel ouvert. Son association a déjà créé des logements pour 25 000 personnes, des cliniques et des écoles. La visite du Pape François à la Cité de l’amitié a permis à l'ACI Afrique d'échanger avec le Père Opeka sur la visite du Saint-Père et son apostolat auprès des enfants défavorisés.

ACI Afrique: Le pape François vient de rendre visite à ce village d’Akamasoa, qu’est-ce que vous avez ressenti en voyant le Saint Père ici ?

Père Pedro: C’était quelque chose d’extraordinaire, les paroles sont très pauvres pour pouvoir exprimer la joie, le bonheur qu’on a ressenti. Le seul fait de voir le pape entrer dans la papamobile dans notre village à Akamasoa, où nous avons  il y a 30 ans tellement souffert, où il y avait tant de violence, tant de douleur, de morts, et voilà que le pape arrive là comme le messager de la paix, le messager de l’espérance au milieu de nous, au milieu de ce peuple-là. Et quand il est arrivé où je l’attendais, lorsqu’il est descendu de la papamobile, nous avons eu une accolade incroyable et ensuite on est entré dans ce lieu où nous prions tous les dimanches. Là, 8000 enfants ont exécuté des chants, des danses, d'une grande beauté, on dirait que les enfants étaient transportés dans un autre monde, avec élégance. Avec joie et conviction ils ont chanté avec un sourire aux lèvres, c’était formidable. Et ensuite quand on m’a dit de monter sur la papamobile avec lui pour aller à la carrière même si ce n’était pas prévu mais je pense qu’ils ont vu l’ambiance de joie qui se ressentait dans la salle et ils ont ajouté cela au programme. Là aussi c’était superbe, voir les gens comme ils sont, dans la joie dans la rue, au bord de la route. Et lui le Pape quelle simplicité, quelle force, quelle présence, il regardait à gauche et à droite, il était content d’être là avec nous, surtout avec les enfants. Ce qui m’a marqué c’est quand il m’a dit « Pedro regarde tous ces gens, tous ces peuples quelle joie, quelle peuple extraordinaire ». On voit en le Pape François, un homme envoyé par Dieu pour servir son peuple. Pour nous, le pape c’est un homme spirituel mais qui a su rester  humain, qui a su rester à la portée de ses frères que nous sommes. Et c’est sa simplicité, ses paroles claires, son amour pour les petits, les pauvres, pour les personne abandonnées, pour les personnes âgées qui ont fait qu’il soit autant aimé par le peuple. Même ceux qui ne sont pas catholiques aiment le Pape François parce que c'est un homme qui est bon et aimé par tous. Voilà ce que j’ai vu, cette bonté d'un homme de Dieu qui a conquis les cœurs partout où il est passé.

ACI Afrique: Quelle était la particularité de cette visite du pape. C'est la deuxième visite pour vous après le Bienheureux  Saint Jean-Paul.

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Père Pedro: Saint Jean-Paul II n’a jamais été ici à Akamasoa. Il était à Madagascar. Il a plutôt visité le palais royal. J'avais déjà commencé ce travail avant que le Pape Jean-Paul II arrive à Madagascar. Je crois deux mois avant. Et ce geste du pape quand il a embrassé à la joue, Ruby une petite fille avec son petit frère en haillons, a confirmé le choix que j'ai fait de venir à la décharge des pauvres et travailler avec eux. Et voilà que 30 ans plus tard, le pape François vient dans notre village nous confirmer, nous encourager à continuer à ne pas baisser les bras.

ACI Afrique: Le pape François s'est adressé aux évêques, au clergé de Madagascar leurs demandant d’être auprès des plus pauvres. C’est le travail que vous faites ici depuis 30 ans ?

Père Pedro: C’est super parce que notre force c'est seulement d’être au milieu de ces gens,  que ces gens-là nous prennent comme un frère comme un père comme quelqu'un de la famille et qui puisse vous approcher tout le temps qu'il puisse vous exposer ses drames, ses problèmes, ses angoisses, qu'ils ont quelqu'un à qui ils peuvent faire confiance. C’est tellement important. Et le prêtre qui a tout laissé soi-disant tout laissé, comment il va s'éloigner de son peuple et le pape a bien dit qu’un  prêtre doit connaitre l'odeur de ses brebis.  Si on ne connait pas l’odeur de ses brebis on est loin, on est sous les nuages, on est loin de la réalité de la vie quotidienne. Le prêtre doit être au milieu de la vie des gens pour pouvoir les comprendre, les aider et pouvoir partager avec eux leurs joies et leurs difficultés.

ACI Afrique: Parlons un peu des préparatifs avant l’arrivée du pape  on sait qu'il y a beaucoup de changements ici dans le village. Comment est-ce que vous avez préparé cette visite du pape ?

Père Pedro: Nous l'avons préparé d'abord en priant pour lui. Dans chaque famille on faisait des prières pour que cette visite puisse produire un changement, une conversion parce que nous avons tous besoin de nous convertir. Parce que cette pauvreté à Madagascar n'est pas tombée du ciel. Je l'ai dit devant le pape hier que cette pauvreté qu'on vit à Madagascar depuis des années ce n'est pas une fatalité. Elle a été créée de toutes pièces par les politiciens insensibles. Et ils ont tourné le dos au peuple qui les a élus. Comment pouvez-vous promettre à un peuple de les sortir de la misère, de l’extrême pauvreté et vous le laissez finalement tomber. C'est un peu cynique tout ça. Alors nous avons tous besoin de nous convertir. Et la pauvreté ici chacun doit réfléchir: quelle est ma part de faute dans le fait que Madagascar depuis l'indépendance n'a jamais pu se sortir de la pauvreté. C’est chacun, c’est-à-dire  l’État, l'Église, la société civile, les paysans, nous tous.  Mais d'abord ceux qui nous ont dirigés. Ce n'est pas le petit paysan qui va faire les premiers mea culpa c'est bien lui quelquefois qui met le feu en brousse. Il brûle la richesse nationale. Mais pour eux, c’est une question d’éducation. On nous a brûlé au moins 50 hectares des forêts juste avant l'arrivée du pape. Ça fait mal,très mal que dans notre premier village d’Akamasoa, on brûle les arbres. Dieu seul sait avec quel amour nous avons planté ces arbres. On va continuer à en planter, mais ça fait mal. Alors nous devons tous prendre conscience que cette pauvreté nous devons la combattre tous mais avec des responsabilités différentes. Parce que ceux qui sont élus ; ils sont les premiers responsables à parler, à dénoncer la corruption, à dénoncer les gabegies, à dénoncer les détournements d'argent public. Ilsdoivent de suivre l'exemple du Christ.

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ACI Afrique: Croyez-vous en ce qu'a dit le président lors de son discours. « Je ne laisserai plus Madagascar dans la pauvreté je veux développer ce pays. »

Père Pedro: Oui je crois. Je crois qu'aujourd'hui il est sincère et il va le démontrer. Nous le souhaitons tous dans les années qui suivent parce qu’un pays qui était à la dérive, qui tombait en chute libre pendant 59 ans vous ne pouvez pas le remettre sur la bonne voie en quelques mois.  Mais il a déjà fait des gestes: des routes  se construisent dans le Nord-Est, la lutte contre la corruption s'intensifie, et plus d'accent est mis sur la sécurité un peu partout. Mais c'est un ensemble de problèmes graves, très graves. Je crois aujourd'hui  qu'il a toutes les possibilités, les capacités aussi. En plus, il est jeune, il est visionnaire, il peut vraiment aider son propre peuple, ses enfants et la jeunesse.

Lors de la messe du dimanche, le papa a appelé le peuple Malgache à être solidaire et surtout de protéger l'environnement. Comment est-ce que vous allez appliquer toutes ces recommandations du Saint-Père

Mais nous l'appliquons déjà dans notre école. Nous lisons déjà Laudato Si, l’encyclique du pape sur l'environnement à nos élèves. Et on va continuer maintenant d’une façon plus systématique. Parce que là c'est pour les croyants comme pour les non-croyants et à Akamasoa nous plantons tous les ans, dix mille arbres et quelquefois plus.  Nous avons une école primaire, un collège, un lycée. Tous les vendredis, toute l'année ils vont planter des arbres quand il pleut et ils nettoient les arbres quand c'est la saison sèche. Nous ici, sachez que nous ne faisons pas semblant. Ici, il n'y a pas de façade. Ici il n'y a pas des apparences. Ici c'est la vérité. Et la vérité nous rendra libre dit Jésus. Ici, c'est seulement la vérité parce que nous on ne rigole pas. L'année prochaine va faire  cinquante ans que je suis là. Je ne suis pas venu à Madagascar pour me bagarrer avec les Politiciens. Mais tous les frères qui m'ont approché ils m'ont dit sauves moi et aides moi. Je suis prêt à aider, à travers le travail, la scolarisation des enfants et la discipline, le respect mutuel. Si vous dites oui au travail, oui à l'école, oui à la discipline on va s'en sortir. Et alors je défends la vie de ces personnes-là parce que celles-ci ne sont pas le patrimoine d'un régime politique ou d'un président. Ce sont des êtres humains. Ce sont des citoyens à part entière, libres. Personne ne peut dire:" tu es mon sujet". Nous sommes des enfants libres. Quand tu crois en Dieu, tu  crois à la liberté, tu crois à l'amour, et tu crois à la fraternité et tu crois aussi au partage.

ACI Afrique: Akamasoa ‘Cité de l'Amitié’ pourquoi ?

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Père Pedro: Parce qu'à une époque, on a compris que c'est un bon nom pour rassembler les gens. Nous sommes tous des amis et comme nous sommes des amis il y a une confiance réciproque qui naît et quand la confiance réciproque est née entre les personnes tout est possible. C'est la confiance que nous avons installée et que nous avons découverte, créée ou construite ici, pendant 30 ans qui est plus importante que l'argent qu'on a reçu. L'argent c'est un moyen. Ce n'est pas l'argent qui a fait tout ça. C’est la passion, ce sont les gens qui ont cru et qui ont respecté et aimé leurs frères. Ici ce n'est pas l'apparence qui est mise en avant. On ne fait pas semblant. Ici on s'engage et c'est pour ça que je l'ai dit. J'ai fait ce que j'ai promis de faire. Là où je trouve un problème je le résoudsimmédiatement. Je ne dis pas à ces dames:" venez me voir demain au bureau". J’ai le devoir de chercher une solution. Je ne vais pas leur dire :"Venez demain".

Moi si j'ai une chose dont j'ai horreur, c’est quand on dit : "Demain. Venez demain ".Les pauvres aujourd’hui reçoivent de last considération. Voilà chers amis, je peux aujourd'hui élever la voix un peu parce que nous avons sauvé des milliers et des milliers des personnes que la société a rejetées.

ACI Afrique: Comment se présente une journée du Père Pedro

Père Pedro: Tout d'abord je me lève souvent très tôt le matin à 5 heures. Je prie. Ensuite, je prends mon petit-déjeuner, je réponds à tous les courriers urgents et après je commence à recevoir les responsables de tous les villages, des écoles, des établissements de la santé, de la sécurité, surtout parce que c'est une ville de 25.000 habitants. Toute la matinée, je suis en train de recevoir tous les responsables de tous les secteurs de la ville que nous avons construite. L’après-midi, je vais dans les villages, dans les lieux de travail. Je veux voir personnellement les gens parce que je ne veux pas qu’on me raconte  des salades. Je ne suis jamais découragé mais en colère contre tous ceux qui ne font pas leur boulot, contre tous ceux qui n'assument pas leurs responsabilités. Un maire, Un député, un sénateur, un ministre, par exemple.

ACI Afrique: Un message pour le monde entier ?

Père Pedro: La pauvreté, l'exclusion ne sont pas des fatalités contre lesquelles on peut lutter, n'importe où et même sans argent parce que l’argent va venir plus tard. Nous avons commencé sans argent et quand les gens voient ce que vous faites et  que vous ne  détournez  pas l'aide,  les gens veulent apporter leur aide. Vous ne pouvez pas écrire "heureux" au singulier parce qu’on ne peut pas être heureux tout seul.